Maître Murakami par Luís de Carvalho

   La revue « Officiel Karaté » va publier une série d'articles concernant les maîtres Japonais qui ont marqué le Karaté Français. On peut citer dans l'ordre : Maîtres MURAKAMI, OSHIMA, MOCHIZUKI, NAMBU, KASE.


   Les ayant tous bien connus, je me permettrai d'apporter pour chacun d'eux un rapide commentaire sur l'impression qu'ils ont laissée à l'époque :

   « Je ne me suis jamais entraîné avec Maître MURAKAMI, mais je le connaissais assez bien car nous étions voisins. Il avait la réputation d'un Expert très exigeant, voire rude avec ses élèves. Il a d'abord enseigné le style SHOTOKAN puis le style SHOTOKAI. Lorsqu'en tant que Directeur Technique, je dus régler les problèmes des rapports entre ce style et la Fédération, je fis mieux sa connaissance et nous avions pris l'habitude, sur la fin de sa vie, de nous rencontrer une fois par an. Le souvenir que j'en ai est celui d'un homme fidèle à sa pensée, intègre, qui toute sa vie s'est entraîné et a cherché à progresser. Il était très conscient que le fait d'enseigner le SHOTOKAI posait des problèmes car cette méthode est ingrate et, par là- même, peu commerciale mais il avait fait un choix et il l'a assumé jusqu'au bout, faisant fi des difficultés. Maître MURAKAMI mérite tout notre respect ». (Guy Sauvin)



Maître Murakami par Luís de Carvalho


   Maître MURAKAMI arriva à Marseille le 3 novembre 1957. Il fut l'un des tous premiers Japonais à venir en France enseigner le Karaté et le premier à s'installer définitivement en France.


   Il est décédé à Paris le 24 janvier 1987 après trente années passées à enseigner son art à travers l’Europe et l'Afrique.


   Né le 31 mars 1927 à Shizuoka (Japon), il pratique dans sa jeunesse la natation et la course à pied. Il pratique aussi le sumo qui est très populaire au Japon. Plus tard, il s'inscrira au dojo Yoseikan de Maître Minoru MOCHIZUKI. Il y pratique l'Aïkido et le Kendo. A l'âge de vingt ans, il s'inscrit dans le club de Maître YAMAGUCHI qui enseigne le style Shotokan (à ne pas confondre avec le Maître du Goju Ryu).

   Dans le dojo de Maître Minoru MOCHIZUKI il y a un Français, Jim Alcheik avec lequel il se lie d'amitié. Henry Plée, par l'intermédiaire de Jim Alcheik, contacte Maître Tetsuji MURAKAMI pour venir enseigner en France. Sur les conseils de Minoru MOCHIZUKI, il se décide à venir pour une année... et il y restera jusqu’à la fin de ses jours.


   Petit de taille et assez mince, il est néanmoins un redoutable combattant et il se dégageait de lui une véritable impression de puissance. Quand il arrive, il pratique un karaté pur et dur. Cette période ne fut pas facile pour lui et il dut prendre de nombreuses décisions tout seul. Aussi dira-t-il : « Pour ne pas gêner mon professeur au Japon, qui se sentait responsable de mes actes, j'ai écrit pour couper toutes les relations officielles et assumer seul la responsabilité de mes actions ».

   Au début, il donne des cours de Karaté, Aïkido et Kendo. Dans cet âge d'or du Budo en France il vit passer de nombreux pratiquants qui allaient devenir l'élite du Karaté et du Kendo français.


Maître EGAMI est né en 1912 à Fukuoka. Il commence le Karaté à l'Université de Waseda alors qu'il a vingt ans. Son Maître est Gichin FUNAKOSH. Dans son jeune âge, il avait une puissance terrifiante. Ceux qui ont vu les rares photos de Gigo FUNAKOSHI pratiquant le kumité avec lui peuvent avoir une idée de ce qu'était sa puissance. En 1948, Gigo FUNAKOSHI meurt et Shigeru EGAMI devient le premier assistant de Maître FUNAKOSHI.     Il raconte que les pratiquants de cette époque croyaient que Maître FUNAKOSHI exécutait ses techniques en décontraction à cause de son âge avancé. Toutefois, il avouera la difficulté qu'il ressentait à effectuer une défense sur ses « légers » tsuki. Il travaille beaucoup aussi avec Maître INOUE (Shin'ei Taido) qui était le neveu de Maître Morihei UESHIBA. Il se rend compte de I'impasse où un travail de plus en plus contracté le mène. Il cherche quelqu’un capable de faire un oi-tsuki efficace sur son abdomen et ne le trouve pas... Il va voir des kendoka et des boxeurs. A sa grande surprise, le tsuki des boxeurs est beaucoup plus pénétrant que le tsuki des karatékas. Il réfléchit et cherche à se perfectionner sans arrêt. Sa conclusion fut que la contraction des jeunes karatéka leur donnait une illusion de puissance. Il s'oriente vers un travail plus souple. Il eut de graves problèmes de santé sans lesquels, selon lui, il n'aurait pas pu progresser autant. Il est décédé en janvier 1981 à Tokyo.

   En 1959, il fait des stages en Allemagne, Grande-Bretagne et Algérie. En 1961, il voyage en Italie. En 1961, avec l'aide de Jacques Fonfrède (alors Président de la Ligue Ile-de-France et Vice-Président de la Fédération Française de Karaté), il ouvre un club à Paris, rue Cambronne.


   Tous ceux qui sont passés à son dojo se souviennent de Maître MURAKAMI comme d'un excellent karatéka... mais très strict et sévère dans le dojo. Il faisait un peu penser à ces moines Zen qui n'épargnent pas les coups de bâton pour éveiller les élèves. Beaucoup ne pouvaient supporter sa façon d'enseigner et partaient. A ceux qui contestaient une telle sévérité, il leur répondait qu'il n'était pas sévère mais qu'il enseignait d'une façon tout à fait normale pour qui aimait ses élèves. Il cherchait à faire ressortir les ressources cachées de chacun. Selon lui, pour obtenir une amélioration chez un élève un « choc » salutaire était préférable à un long discours. Très intuitif dans son enseignement, il déconcertait souvent les cartésiens que nous sommes.


   En 1967, il passe deux mois au Japon. A cette époque, Maître OSHIMA l'introduisit auprès de Maître Shigeru EGAMI. Le travail auquel il assiste à l'université de Gakushuin le déconcerte. Des positions très basses, des grands mouvements, aucune raideur musculaire. Le travail est basé sur la communication, le côté mécanique du ki-hon ordre/exécution a disparu. On cherche à unifier la commande du professeur et l'exécution par l'élève. Il ne s'agit pas de réagir vite mais d'anticiper. Maître EGAMI lui explique qu'il est nécessaire de dépasser ses propres limites, que c'est seulement quand on est épuisé, vidé, après un long ki-hon, que le véritable travail peut commencer.


   Il est abasourdi car il n'avait jamais pu imaginer un tel travail. Maître MURAKAMI dira: « J'ai tout de suite senti que dans le karaté de Maître EGAMI se trouvait quelque chose que je cherchais depuis longtemps. J'ai donc décidé de suivre l'enseignement de Maître EGAMI et j'ai changé de style petit à petit. Au départ, j'en connaissais le but, mais j'ignorais quel chemin prendre pour y accéder. Je savais seulement que le Shotokan que j'avais pratiqué jusqu'à là ne me permettait pas d'atteindre ce but ».


   Maître MURAKAMI reste deux mois au Japon. Il avouera plus tard que, au début, il a eu beaucoup de doutes, que c'était un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. A son retour du Japon, beaucoup d'élèves le quittent car ils ne veulent pas changer de façon de travailler. Imperturbable, Maître MURAKAMI poursuit son chemin. L'année 1969 voit la création de l'association Murakami-Kaï qui vise à aider le développement de l'œuvre de Maître MURAKAMI. Son groupe se développe alors en Italie, Portugal, Suisse, Belgique, Yougoslavie, Algérie, Angola et, bien sûr, en France.


   Une fois par an, les élèves de Maître MURAKAMI se rencontrent, toutes nationalités confondues, au fameux stage de Sérignan-Plage.


   Maître EGAMI est satisfait du travail de Maître MURAKAMI et en 1976 le nomme Délégué du Shotokaï pour toute l'Europe.


   Cette même année, lors de son passage à Paris, Maître EGAMI dira : « Avant, Maître MURAKAMI était un homme de combat et cela se voyait sur son visage. Mais maintenant, il a changé et cela se voit aussi sur son visage ».


   Homme cultivé, il était toujours au courant de ce qui se passait dans le monde. Entre sa collection de pipes, ses bons livres et les disques de musique classique qu'il aimait beaucoup écouter, il menait la vie active de quelqu'un qui a décidé de consacrer sa vie au karaté.


   Aujourd'hui, tous ses élèves attendent de pouvoir lire un jour le livre qu'il avait écrit mais qui n'a, malheureusement, pas encore été publié.


   Sa mort est intervenue au moment où il recueillait les fruits d'un investissement quotidien poursuivi depuis plusieurs années, et alors que son groupe prenait une dimension européenne à travers les différents stages qu'il avait mis en place avec ses élèves.


Luís de CARVALHO   

(écrit en 1994 pour le magazine "Officiel Karaté")   

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