Interview de Maître Tetsuji Murakami (février 1986)


(réalisée au stage de Marseille en février 1986)


  Q : Maître MURAKAMI bonjour. On connaît le caractère massif de l'enseignement du judo ou du kendo dans les écoles primaires japonaises. Il semble qu'il n'en soit pas de même pour le Karaté. Qu'en pensez-vous?


   T.M. - Ce que vous dîtes est vrai. Quand j'étais au Japon le Karaté n'existait pratiquement pas dans les écoles primaires. Depuis quelques années, il a commencé à apparaître chez les enfants de 7 à 8 ans, mais il est clair que cela n'est pas aussi massif que pour le kendo, par exemple. L'explication est relativement simple: il est très amusant et très motivant pour un enfant de se rouler par terre sur un tapis de judo ou d'asséner des coups de bâton en étant protégé par une armure.

   Beaucoup plus motivant et immédiatement intéressant que le fait de répéter inlassablement un nombre limité de mouvements dans des positions fatigantes ou peu évidentes, comme le nécessite l'apprentissage du Karaté...

   En fait, c'est plutôt après 15 ans qu'un jeune peut être profondément attiré par le Karaté, à moins qu'on lui fasse miroiter artificiellement des "ceintures noires jeunes" ou des places en compétition, comme cela a été le cas en judo ou même dans certaines écoles de Karaté. Mais ce n'est pas là l'optique du SHOTOKAI. J'ajoute qu'il ne s'agit pas du reste d'un problème spécifiquement japonais: les expériences de pratique du Karaté par les enfants, particulièrement en ce qui concerne le SHOTOKAI - mais cela est valable pour les autres écoles - sont très peu nombreuses quels que soient les pays. Je veux parler, bien sûr, de la pratique d'un véritable Karaté...


  Q : Le SHOTOKAI insiste sur la souplesse, le naturel et la décontraction. Les enfants sont "naturellement" souples. Le SHOTOKAI n'est-il donc pas tout à fait adapté à eux?


   T.M. - II est faux de dire que les enfants sont naturellement souples. Tout dépend de l'image qu'on leur donne: à Karaté raide, enfant raide! C'est la responsabilité de l'enseignant qui est engagée. Certains instructeurs apprennent aux enfants à bloquer leur corps et à saccader leurs gestes - cela est très visible en compétition. Nous essayons de leur apprendre quant à nous à libérer leur corps, à décontracter leurs mouvements. C'est du reste la même chose pour les adultes! Encore une fois, tout dépend de l'instructeur.

   A partir de là, il est vrai que le SHOTOKAI est particulièrement bien adapté et profitable à la constitution physique des enfants.


  Q : Avec les adultes, vous travaillez souvent à la limite de l'épuisement, précisément pour "libérer" le corps. Comment concilier cette démarche avec de tout jeunes pratiquants?


   T.M. - II est clair qu'avec les enfants, nous devons pratiquer complètement différemment. Nous devons insister sur les mouvements fondamentaux: gestes et positions. Mais les enfants acceptent très difficilement des longues minutes de "technique". Aussi, il est nécessaire d'entrecouper le véritable apprentissage par des jeux ou des détentes choisis sans perdre de vue l'optique du Karaté: c'est là toute la difficulté et là-dessus nous n'avons malheureusement pour l'instant que peu d'expérience. Je voudrais m'expliquer plus clairement en prenant un exemple.

   Tout à l'heure, vous m'avez dit que, dans votre club d'enfants, vous leur faites essayer de détacher la ceinture de leur partenaire, celui-ci devant se protéger en balayant la main qui s'approche de sa taille. C'est peut-être un jeu, mais cela va tout à fait à l'opposé de notre tsuki, parce que l'enfant qui a touché la ceinture ramène immédiatement son bras en arrière, alors que nous travaillons le tsuki loin en avant, avec tout le corps qui suit... Il faudra donc que vous trouviez autre chose, sinon vous perdrez du temps en vous éloignant momentanément du SHOTOKAI, comme dans ce cas...


   Je le répète, l'enseignement aux enfants est très difficile, et il faut très souvent en discuter. Nous ne devons pas perdre de vue que nous formons les enfants pour le futur, dans leur corps et dans leur esprit, pour en faire des pratiquants de notre Karaté. Votre enseignement n'est ni de l'animation ni du "professionnalisme", qui attirent les enfants pour financer les clubs. Vous y gagnerez peut-être moins de pratiquants mais ce seront de vrais pratiquants. C'était l'optique de Maître EGAMI, et cela restera la nôtre.


  Q : Peut-il y avoir des contre-indications à la pratique du Karaté par les enfants, en ce qui concerne leur état physique ou leur croissance?


   T.M. - Aucune, à moins d'avoir affaire à un enfant manifestement en très mauvais état de santé au niveau de son squelette, de son coeur ou de son appareil respiratoire. Mais attention, il y a des exercices ou des positions qui sont eux contre-indiqués pour des enfants et qu'un instructeur évitera systématiquement: par exemple, chez nous, les enfants ne font pas de usagi-tobi ou de grand écart facial, qui seraient néfastes à leur genoux En règle générale, les articulations sont encore plus fragiles chez eux que chez les adultes et doivent être traitées avec encore plus de prudence. Attention aussi aux torsions. Lorsque ceci est bien compris, le Karaté - et particulièrement le SHOTOKAI - ne peut être que très bénéfique pour la santé des enfants et leur croissance. Entre autres choses, la liaison entre les mouvements et la respiration est un des fondements de notre Karaté particulièrement favorable au développement des enfants.


  Q : Le Karaté s'adresse-t-il plus, moins ou différemment aux filles et aux garçons?


   T.M. - Je me souviens qu'avant la guerre, au Japon, il n'y avait pas de mélange entre hommes et femmes, mais déjà il y avait des pratiquantes.

   Aujourd'hui, nous travaillons tous ensemble, en tout cas en SHOTOKAI où de plus nous ne pratiquons pas la compétition et refusons le principe des catégories, des poids, etc.... qui ne correspondent pas à l'esprit des arts martiaux. Cela ne nous pose aucun problème. S'il y a de nombreux participants, on peut faire des groupes masculins et féminins pour des raisons de commodité, mais aussi pour la simple raison que les femmes ont parfois un Karaté différent, parce qu'elles ont un corps différent... Ceci étant, dans son esprit, le Karaté est tout autant assimilable par les hommes et par les femmes.


   C'est une Voie. A chacun d'essayer de l'emprunter et de la suivre.


   Maître MURAKAMI nous vous remercions.


Propos recueillis par R.RIZZO    

(Karaté Shotokai du Merlan-UFOLEP)    


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